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  • La houe à cheval, un instrument d'hier, une invention pour demain ?

La houe à cheval, 
un instrument d'hier, 
une invention pour demain ?

Dessin


Binage moderne


La richesse de nos collections

Dans toutes nos collections, nous possédons des houes à cheval et des instruments qui s’en rapprochent.

Par exemple, dans la collection du CICPR à Treffieux, nous conservons une quarantaine de houes.

Pourquoi en conserver autant, alors qu’une ou deux suffirait ?

Si on veut rendre compte de la grande variété de cet instrument, il est indispensable de conserver un exemplaire de chaque modèle différent. Or les 45 houes du CICPR sont toutes différentes les unes des autres, comme nous allons le voir…
Procédons avec méthode !

  • Observons nos instruments et décrivons leur fonctionnement

  • Recherchons qu’elle est leur fonction dans le système de production agricole

  • Renseignons-nous sur ses origines et son histoire

  • Interrogeons-nous aussi sur son avenir…

Qu’est-ce qu’une houe à cheval ?

Dessin de binage à la houe à cheval, catalogue Puzenat


C’est un instrument de travail superficiel du sol :

- adapté pour travailler le sol entre deux rangées de plantes cultivées. 

- constitué de plusieurs pièces travaillantes qui pénètrent légèrement dans le sol.

- comme son nom l’indique, cet instrument est tiré en général par un cheval (ou un âne, un mulet…)
Pour les historiens, on peut dire aussi qu’il s’agit d’un araire polysoc

Le travail de la terre, l’été dans les plantes sarclées, est l’équivalent des labours d’été sur les jachères d’autrefois. 

Le but est le même : maintenir le sol « propre » (sans adventices), et casser la croûte superficielle du sol, de manière à réduire l’évaporation et donc à conserver la réserve en eau du sol pour alimenter les racines.

Quelle est sa structure ?

Principales pièces fonctionnelles de la houe à cheval


Sa fonction principale

Cet instrument est entièrement lié à la culture des plantes fourragères plantées en rangées régulières.

Il s’est développé avec la mise en place des plantes fourragères au XIXe siècle, quand elles ont remplacé la jachère.

Il est lié à l’époque de la traction animale et a favorisé le développement des chevaux de trait. 

Avant son introduction, les binages ou sarclages se faisaient avec un outil à main souvent appelé une « houe » (ou une tranche, une bêche).

Avec l’arrivée massive des tracteurs, au cours des années 1960 dans nos régions, et la modernisation de l’agriculture, les houes ont souvent été remplacées par les produits chimiques de désherbage.

L’homme à la houe

Millet, l'homme à la houe


Millet, allégorie


Mieux que tout autre, Jean-François Millet, au XIXe siècle, a su peindre la peine des hommes maniant la houe toute la journée.
Dans ce tableau moins connu, le vigneron se repose entre ses rangs de vigne, sa houe sur le côté. Il paraît hébété par le travail. La houe à cheval servira aussi dans les vignes.

Souvent ce sont les femmes qui binent…

Burkina Faso 2005


Revenons à la collection…

Les instruments les plus anciens sont en bois, sauf les pièces travaillantes et les pièces de liaison qui sont en fer.

Houe à cheval


Houe à cheval


Au XXe siècle, elles deviennent métalliques. 

Les socs sont en acier et ils sont démontables pour pouvoir être inversés, rechargés ou changés quand ils sont complètement usés.

Houe à cheval Puzenat


La structure de base

Détail de houe


La structure de base est toujours la même. On dit qu’elle est à extension triangulaire : la partie arrière des deux bras latéraux peut s’écarter de l’axe central grâce à un système coulissant. Ce qui permet de faire varier la largeur de travail de l’outil, pour s’adapter à l’écartement des rangs plantés. 

L'écartement peut varier selon les cultures, les usages et la nature des sols, d’environ 40 à environ 80 cm. Les rangs de vigne sont plus écartés.

Les éléments communs de la structure

Les pièces travaillantes : les socs ou « dents » (de nombre et de formes variables)

- Le châssis : une structure à trois montants et à extension triangulaire, en bois ou en métal, avec des systèmes de réglage différents. On peut dire que cette structure est la caractéristique de la houe à cheval.

Les mancherons (comparables à ceux de la charrue)

- L’avant-train : une petite roue métallique d’environ 20-25 cm de diamètre, reliée par une tige à l’avant du timon

Un système de transmission de la force de traction qui part du point de convergence des forces de résistance exercées par la terre sur les pièces travaillantes (ici, une chaine, un anneau et un crochet)

Houe à cheval


Les pièces travaillantes

1 - Des formes variées et souvent interchangeables.

Les trois socs à gauche sont les plus classiques. Ici ils sont usés aux deux extrémités, car ils sont réversibles. Les autres sont des socs larges, conçus pour sarcler et pour effectuer un léger buttage. 

Sur celui qui est à droite, on peut ajouter des ailerons pour renforcer le buttage des plantes. Il se place à l’arrière et au milieu.

Détails de houe


2 - Une variété de pièces travaillantes.
Selon que l’on veut surtout casser la croûte de terre (284-2) ou au contraire privilégier la destruction des adventices au niveau des racines (253-3), ou encore effectuer un buttage en même temps (294-1) on utilisera des pièces différentes. Tous les compromis sont possibles (283-2).
  • Houe à cheval

  • Houe à cheval

  • Houe à cheval

  • Houe à cheval

Réglages de la profondeur

1 - Réglage direct de la hauteur de la tige de la roue.

Détail de houe


Ce qui importe c’est l’entrure : en abaissant l’avant-train, on fera pénétrer les premières dents et les suivantes feront de même. Le conducteur pourra appuyer plus ou moins sur les mancherons pour faire varier la profondeur.

Détail de houe


2 - Réglage par inclinaison.

Détail de houe


En inclinant le support de la roue avant, on abaisse le timon et l’effet est le même sur la profondeur de travail.

Détail de houe


3 - Réglage par inclinaison  du support de la roue avec un bras de levier à cran d’arrêt.

Houe à cheval avec bras de levier


Houe à cheval avec bras de levier


Réglage de la largeur de travail

Le système le plus ancien : pour faire varier l’écartement des deux bras extérieurs, l’extrémité des deux tiges métalliques qui sont solidaires des bras glisse dans une glissière aménagée dans l’axe central. Elles sont bloquées par un écrou qui peut se serrer et se desserrer à la main, grâce à un levier. S’il est trop serré, un coup de sabot le débloque !  

Détail de houe 


D’autres solutions fondées sur le même principe. Là encore, l’imagination artisanale n’a pas de limites !

Détail de houe


Détail de houe


Le système à bras de levier : un perfectionnement, comme pour le réglage de la profondeur, et selon le même principe.

Houe à cheval


Houe à cheval Puzenat


Dernier perfectionnement : le système à vis sans fin qui permet un réglage de précision. Il peut se manœuvrer sans arrêter le travail, de la place du conducteur. On le trouve sur les modèles récents des grands constructeurs, comme le français Puzenat ou l’américain Deering.

On peut constater que les perfectionnements visent la facilité de l’adaptation de l’outil aux conditions du terrain et des plantes, dans un objectif « d’agriculture de précision ». 

Même si l’outil à main reste encore le plus précis…

Un classement

A partir de tous les critères que l’on a présentés, on peut proposer une typologie des houes à cheval. 

(Ce qui ne serait pas possible si on n’avait que quelques exemplaires).
Typologie des houes à cheval
 
1 - Matériaux employés
A – Châssis et mancherons en bois (le reste en fer)
B – Mancherons seuls en bois
C – Entièrement métallique
D – Entièrement métallique avec poignées en bois
 
2 - Socs
A – Nombre impair : 3 – 5 – 7 – 9 
B – Forme : triangle – réversibles – variable
 
3 – Réglages de la profondeur de travail
A – Réglage direct par position de la roue avant
B – Réglage par levier à cran d’arrêt
 
4 – Réglages de la largeur de travail
A – Réglage direct par glissière (vis de blocage ou cheville)
B – Réglage par levier à cran d’arrêt
C – Réglage par vis sans fin et manivelle
 
5 – Constructeur (identifié ou supposé)
A – Artisanal  (indiquer si possible la localisation)
B – Industriel (indiquer si possible la marque)

Et maintenant, les questions !

Monsieur, qui a construit les houes à cheval ?

Excellente question ! Mais il n’est jamais facile de répondre à ce genre d’interrogation.

Elle soulève, entre autres, la grande question de la transition entre la production artisanale et la production industrielle. On peut dire que les objets où domine le bois ont été construits en général par des artisans de village  : charrons, charpentiers et forgerons associés, qui deviennent progressivement des « mécaniciens »

Certains de ces artisans développent leur entreprise : ils deviennent représentants de grands constructeurs, puis finissent par copier les modèles qu’ils vendent et deviennent eux-mêmes des constructeurs industriels.

On a de bons exemples dans la région nantaise :
- Huard à Châteaubriant
- Braud à Saint-Mars-la-Jaille
- Garnier à Redon

Au niveau national, une entreprise importante comme Puzenat est née du développement d’un simple forgeron qui a eu le mérite d’inventer un modèle de herse qui a connu un grand succès : la herse zigzag.

Monsieur, qui a construit les houes à cheval ?

La réponse devient plus simple quand les houes sont produites de manière industrielle par de grands constructeurs car on retrouve leur marque sur les objets. 

Dans la région, les houes d’origine industrielle les plus répandues proviennent des usines Puzenat, de Bourbon-Lancy (S. et L.).

On en retrouve 5 dans la collection du CICPR (257, 258, 263, 269, 281). 

Des houes de constructeurs étrangers sont aussi répandues, comme les houes Deering (IH). 

Extrait de catalogue Puzenat 


Un exemple de constructeur français qui a réussi

Illustration catalogue de l'usine Puzenat 


Emile Puzenat était un forgeron, comme son père, à Bourbon-Lancy, en Saône-et-Loire. Ingénieux, il invente en 1874 un modèle de herse métallique qui aura un grand succès : la herse zigzag (ci-contre). Un demi-siècle plus tard, en 1925, les établissements Puzenat emploient 1000 ouvriers…

Herse zigzag


D’autres constructeurs qui se copient…

Houe Amouroux Frères


Horse Hoe Planet JR


Monsieur, qui a inventé la houe à cheval ?

« Les Anglais ont donné le nom de houe à cheval (horse-hoe) à un instrument qui leur sert à biner les semis ou plantations faites par rangées; mais ce nom ne lui convient qu’imparfaitement, car le caractère principal des houes est d’ouvrir la terre en frappant, tandis qu’il l’ouvre à la manière de la charrue. » 
(Nouveau Cours complet d’agriculture, 1822, p. 134-135)

Définition houe dans Dictionnaire Rozier 1785


Nouvelle question très pertinente !

Souvent, pour les objets et instruments anciens, on ne connaît pas l’inventeur. Les outils évoluent pas petites touches insensibles et les artisans, pour la plupart, ne déposaient pas de brevet d’invention !
Pour la houe à cheval, sans pouvoir dire qui est l’inventeur, on a tout de même beaucoup d’indications sur son origine.

Il faut chercher du côté des Anglais, déjà pour une raison simple : l’expression française « houe à cheval » est une traduction littérale de horse hoe, l’expression anglaise qui a été donnée à cet instrument. Comme le dit un auteur français du XIXe siècle, l’expression n’est pas forcément bien choisie car la « houe » traditionnelle est un instrument à main qui agit par percussion (en frappant la terre) et non par un mouvement continu comme la charrue.
Mais la houe est le symbole très fort du travail du sol et notamment des opérations de binage et de sarclage. La houe à cheval, c’est donc l’instrument qui, au XIXe siècle, quand les plantes sarclées sont cultivées « en grand », remplace la houe à main pour les travaux du travail du sol en été.

Monsieur, qui a inventé la houe à cheval ?

Portrait de Jethro Tull


L’inventeur de la horse hoe est donc un gentleman anglais du XVIIIe siècle qui s’appelle Jethro TULL*.

Il était l’adepte d’une « théorie agronomique » particulière: il croyait que les plantes absorbaient directement des particules fines de terre. Selon lui, pour augmenter les rendements, il fallait donc diviser la terre le plus possible en effectuant un maximum de façons culturales sur les cultures déjà en place. Et plus besoin d’engrais !

Pour ce faire, il fallait planter ou semer en rangées régulières, de manière à passer un instrument tracté entre les rangs.


* A ne pas confondre avec le groupe de rock britannique Jethro Tull !
Une leçon à retenir: la houe à cheval est née d’une erreur scientifique !

Car, bien entendu, la théorie agronomique de Jethro Tull est fausse !

Semoir Jethro Tull


Horse-Hoeing Husbandry 
or An Essay on the Principles of Vegetation and Tillage

Couverture ouvrage Jethro Tull


Jethro Tull a inventé le semoir mécanique en 1701 pour semer les céréales en ligne afin de pouvoir les biner.

Il inventa donc aussi l’instrument permettant des binages rapides en utilisant la traction animale : la houe à cheval.

Il présente ses théories et ses nouveaux instruments dans son ouvrage Horse Hoeing Husbandry, dont la première édition est parue en 1731.

Planche ouvrage Jethro Tull


Les agronomes français sont souvent des admirateurs des gentlemen farmers anglais, mais avec un siècle de retard…

Une première houe apparaît…

Dans une planche de dessins du Nouveau Cours d’agriculture de 1822, on retrouve cet instrument qui ressemble beaucoup à nos houes : socs, train-avant, mancherons… Mais il n’est pas réglable et il suppose donc des cultures plantées toujours avec le même écartement et un sol homogène… Les perfectionnements viendront un peu plus tard.

Dessin de houe dans Cours complet 1822


Vers la structure définitive de l’instrument

Dessin de Mathieu de Dombasle


Dans son célèbre Calendrier du bon cultivateur, Mathieu de Dombasle reproduit le dessin d’un instrument qui a toutes les caractéristiques de nos houes : avant-train, structure triangulaire, cinq socs, réglages de la largeur et de la profondeur…

C’est ce modèle qui sera copié et perfectionné tout au long du XXe siècle.

Du livre ancien à la collection actuelle

On retrouve bien les caractéristiques de la houe présentée par Mathieu de Dombasle au XIXe siècle dans nos collections actuelles.

Le succès de la houe dans la seconde moitié du XIXe siècle dans l’Ouest

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le seul instrument nouveau de travail du sol qui progresse très rapidement est la houe à cheval : avec plus de 6000 exemplaires en 1882, on peut dire que toutes les moyennes et grandes exploitations de l’époque en sont équipées.

Instruments                      1862              1882
Houes à cheval                891                 6 472
Semoirs à céréales           48                 41
Semoirs à « racines »                   -                  5
Semoirs mixtes                   -                 14
Faucheuses                             2                 70
Moissonneuses                     2                 45
Faneuses-râteaux à cheval          3                 47
Roues hydrauliques           -                  67

Matériel agricole recensé en 1862 et 1882 
en Loire-Inférieure (Source: Le Développement agricole au 19e siècle en Loire-Atlantique, CHT Nantes, p. 223)

Tout cela, c’est le passé! 
Qu’en sera-t-il demain ?

Avec l’arrivée des tracteurs et surtout avec la généralisation de l’emploi des désherbants, nos houes ont été remisées au magasin des antiquités…
On les retrouve donc dans les collections de nos musées.
Certains particuliers s’en servent encore pour cultiver quelques ares de choux ou de légumes dans leurs jardins.

Le renouveau vient de l’agriculture biologique qui a renoncé volontairement à l’emploi des produits phytosanitaires.

Mais le glyphosate – le produit de désherbage le plus répandu – est accusé d’être un agent cancérigène probable.
La France envisage de l’interdire dans les cinq années qui viennent. Partout, on fait des recherches pour trouver des solutions alternatives.

Le binage mécanique – utilisant le principe de la houe à cheval – fait son grand retour !
Il suffit de se rendre sur internet pour trouver de nombreux modèles d’instruments perfectionnés qui reprennent le principe de la houe à cheval.
Les instruments de binage modernes travaillent plusieurs rangs à la fois. 

On trouve aussi de vraies houes à cheval modernes !

Bineuse moderne à cheval


Bineuse moderne à 7 rangs derrière  tracteur


On peut en voir par exemple sur : 
ou
Mais ce renouveau pose d’autres questions… certains défenseurs des animaux contestent l’usage de la force de travail des animaux. 
Quelles énergies renouvelables utilisera-t-on à l’avenir ?
A chaque citoyen d’y répondre !

Et nos vieilles houes rendent encore des services dans les pays en développement

La collection du CICPR qui nous a servi de support pour cette exposition a été constituée par des bénévoles qui recherchaient des instruments agricoles pour les envoyer au Nicaragua.

Ils ont conservé un exemplaire des outils collectés, ce qui constitue la collection du CICPR.

L’association Echanges et Solidarité 44 a ainsi envoyé par le passé un grand nombre de houes et d’autres instruments légers dont se servent aujourd’hui les petits agriculteurs du Nicaragua.

Crédits

Conception et textes : FDMA 44

Numérisation des documents : Naoned